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> Antje Lechleiter

THE ORIGIN OF LIGHT

 

Sous le beau titre "The Origin Of Light", la galerie du Kunsthalle MESSMER présente l'artiste français Michel Kirch, récipiendaire de nombreux prix internationaux dont pour l’année 2017

« Meilleur Photographe Monochrome de l’Année" , et en mars, lauréat des "32èmes Chelsea International Fine Art Awards ". 

Le titre "The Origin Of Light" se justifie à deux égards. D’une part, dans ses oeuvres, la lumière génère l'espoir dans les lieux de destruction et dans les moments de détresse humaine. D’autre part, le titre témoigne de son mode de fonctionnement. Kirch a photographié de manière analogique et exposé ses films dans la chambre noire. Voilà donc l'endroit où la lumière gagne sur l'obscurité et crée ces images incomparablement émouvantes. 

Quand on regarde l’oeuvre intitulée « Genèse » , on perçoit la relation au thème d'une manière très spéciale, car il nous raconte sur plusieurs panneaux une histoire qui est une quête réussie de la Lumière aussi bien dans son sens physique que spirituel.

Quand j'ai demandé à Kirch pourquoi il photographiait en argentique, il m’a répondu que ces captures avaient pour lui une âme, une vibration très spéciale qu'il pouvait ressentir en appuyant sur le déclencheur…

Bien sûr, l'exposition comprend également l’oeuvre "L'origine de la lumière" (2012), installée ici dans un caisson lumineux.  Elle raconte beaucoup sur l'essence de ces travaux de sculpture de la lumière, car, de toute évidence, Kirch n'est pas assujetti par la nécessité d'un réel normatif. Ses images nous rappellent avec force que la photographie ne peut jamais être objective et vraie, que la photographie est toujours une interprétation de la réalité.

Magnifiquement élégant, le funambule se tient de façon évidente dans l'image « l’Horizon Vertical", et pourtant il nous trompe : la vérité dans le sens de « voilà c'est tout » ne peut être exprimée que par des images directes.

Kirch dit : "La réalité est un point de vue, donc vous ne vous déplacez pas, mais il est difficile de définir la réalité, et j’ai décidé subjectivement d'assigner le concept de réalité à telle situation ou tel paysage, mais ce n'est qu'une sorte de convention ». 

Et cela devient vraiment intéressant lorsque la norme est mise en défaut par des moyens artistiques.

Chaque image est composée d'un nombre variable de photographies. Parfois une seule, quand le paysage "extérieur" correspond déjà au paysage ‘intérieur" de l’artiste. Cependant, la plupart du temps de nombreuses images différentes sont utilisées, synthétisées en une sorte de collage crédible. En d'autres termes, les images du monde extérieur se transmuent en une seule image, qui est le paysage intérieur. La réalité résultante provient d'une réalité différente, d'un monde fantastique, issus de la perception personnelle du réel de l’artiste.

J'aimerais clarifier le processus à nouveau : Kirch travaille en deux étapes. Tout d'abord, il est photographe et, en tant que tel, il doit se mouvoir pour la recherche de matière. Mais ce qui constitue le fond de ses «paysages intérieurs» peut être trouvé dans son jardin autant que sur de grands voyages. Cela a juste à voir avec la manière dont il se voit et voit le monde. Ensuite, il passe à la seconde étape, dans son atelier. Le négatif argentique, souvent de format 6 x 7 cm, est numérisé puis traité avec des logiciels informatiques. Dans cette phase, il utilise des images et de la technologie comme un peintre utiliserait sa couleur. Il n’y a pas de concept pré-défini. Il laisse ses mains oeuvrer et évacue son mental.

L'arrière-plan se compose toujours de ses propres prises de vue. Pour certaines figures il utilise le gigantesque réservoir d'images présentes sur le net. Avec un seul clic il a, comme le dit Kirch avec tant de beauté, "le monde au bout des doigts ».

Ses propres images forment quelque chose comme un fondamental, qui est complété subtilement par cette information supplémentaire… Le triptyque  « le Jardin » contient, par exemple, des images du net qui appartiennent à notre mémoire collective. Ils doivent être compris comme le message de l'artiste qu’il ne peut plus y avoir de « réalité unique, absolue et universellement valable» dans notre monde digital et de réseaux sociaux.

Kirch utilise dans « le Jardin » une impressionnante langue symbolique, l'image se composant  de forces opposées, complémentaires et contrastées, comme Eros et Thanatos, le clair et l’obscur, la civilisation et la nature, la construction et la destruction. De cette façon, une magie émerge qui surpasse de loin l'effet du matériau pictural original, et nous fait absolument douter du caractère documentaire de l'image, et donc de la réalité, qui est implicite. 

En se concentrant sur la porosité de la frontière entre réel et virtuel, son travail nous démontre qu’il n’y a pas de réalité en dehors de l'image. 

Seule l'image elle-même est la réalité.

Cette oeuvre a été conçue après la catastrophe nucléaire de Fukushima, et fait partie d'une série intitulée « Homo Fukushima ».  « New Babel" appartient également à ce groupe. Les paysages volcaniques de la série "Homo Fukushima" proviennent d'Islande et font partie du concept de Kirch. Car l'artiste voulait démontrer qu’il est possible de créer de manière symbolique et analogique des paysages sans obligation de s’y rendre. Ainsi du Japon où il ne s’est pas encore rendu, mais dont la topographie volcanique des deux pays est comparable. Kirch expérimente ainsi la subjectivité des images et l'attente du spectateur.

Le matériel initial est enregistré dans le processus photographique, mais les aspects temporels et spatiaux subissent un processus de changement. Le résultat est une simulation de la réalité qui joue avec des repères vraisemblablement objectifs et réels selon l’acceptation commune à l’espèce humaine.

Michel Kirch montre ainsi que la photographie est capable de rendre la réalité encore plus réelle.

Pour l’oeuvre « New Babel », il a bien sûr utilisé la Bible comme élément générateur. Ce n'est pas un cas isolé, car pour Kirch il s’agit d’un réservoir atemporel, qui peut aussi s’appliquer aux événements du présent. Dans cette oeuvre, j'aime particulièrement les moines qui escaladent la montagne pour finalement se muer en oiseaux. La réalité ainsi transformée laisse un sentiment de paix mystérieux et inexplicable. 

Dans la pièce voisine, vous pouvez également voir trois vidéos dans lesquelles les images fantastiques de l'artiste ont pris vie. Cette expansion dans la dimension "temps" n'est, à mon avis, que cohérente. Kirch exhorte l'idée de créer une réalité différente des composantes de la réalité. Je dis une autre réalité, car Kirch lui-même souligne que ses œuvres ne sont pas surréalistes.

Ses images sont pour la plupart monochromes, car, comme nous le savons tous, la couleur peut produire des stimuli esthétiques et émotionnels extraordinaires, et donc flatteurs. La renonciation à la couleur comme moyen d’expression provient de son souci de distanciation de l'image et permet à l’essentiel squelettique d’atteindre au stade symbolique. Ainsi, ces oeuvres sont-elles des protocoles d'une expérience de réalité élargie, permettant au spectateur de participer émotionnellement à son propre réservoir d'expériences et de souvenirs intimes.

Michel Kirch décrit ses «paysages intérieurs» comme «la géographie de l'âme». J’aime ce concept qui m’interpelle, sans doute parce que ses travaux font fi de ce qui était face à la caméra, pour accéder à un nouvelle réalité, sorte de « Terra Incognita ».

L’image résultante ne peut pas être déterminée, elle est vraie et fausse, objective et abstraite, c'est sans doute ce qui propulse notre réflexion et notre contemplation.

 

 

DR Antje LECHLEITER

Dr en Histoire de l'Art

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