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> Roberto Mutti

On entend le bruit du vent qui caresse légèrement la plage et qui transporte les cris des mouettes qui semblent toutes proches mais qui volent très haut dans le ciel en se laissant emporter par les courants, ailes tendues, corps immobile ou seule la tete bouge.

On entend le bruit rythmique de la mer auquel on s'habitue très vite peut-être parce qu'il ne s'arrête jamais. Il y a des photographies qui savent évoquer des bruits, qui semblent meme faites exprès pour que ces bruits deviennent leur bande son évidente : cette sensation est difficile a expliquer - tout comme le fait que certaines photographies soient en revanche " muettes " ou d'autres indéfectiblement liées a la musique - mais il suffit d'observer les images réalisées par Michel Kirch pour comprendre que c'est ainsi.

C'est comme si le photographe français avait voulu effacer les mots pour aller a la recherche d'autres sons, plus universels, comme ceux créés par la nature. La vision même a laquelle il recourt - il s'agit presque toujours de clichés singulièrement pris d'en haut, comme depuis un vol d'oiseau- est le fruit d'une attitude délibérément absente, d'un regard qui se pose avec légèreté sur les hommes comme s'il avait peur de leur poser des questions et qu'il préférait en observer les mouvements.

Plutôt que de s'approcher de ses sujets, l'objectif de Kirch va a la recherche des géométries les plus imprévisibles. Sur une plage, on voit sept personnes et chacune d'elles semble perdue dans ses pensées - un enfant joue, certains sont assis ou allongés, d'autres marchent - en ignorant les autres. Mais c'est le photographe qui nous fait découvrir que les sept personnes sont disposées en cercle, un dessin qui semble ainsi indiquer un destin commun. Le theme du voisinage objectif entre les hommes apparaît souvent et on le retrouve, par exemple, dans la photographie représentant des jeunes assis sur un mur qui, sans le vouloir, occupent une position symétrique a celle des plantes appuyées contre le mur.

Photographe attentif a la composition et aimant l'immédiateté du message, Michel Kirch a construit, grâce a sa recherche intitulée " Au-delà du Mur ", un travail ou la tension est très forte. On le voit très bien dans la photographie représentant un parapet donnant sur la mer pris selon une perspective qui en souligne l'étrange aspect tragique, comme s'il s'agissait d'une barricade, d'un obstacle, d'une barrière rendue encore plus mystérieuse par le panneau doté d'un miroir qui la surplombe, un peu comme une question sans réponse. Parce qu'il ne s'agit pas d'un reportage sur la beauté de la nature : la sensation de spatialité qui le caractérise a une signification humaine et politique bien plus profonde.

Enfermé sur lui-même par ce mur érigé comme forme de défense mais devenu très rapidement, paradoxalement, signe d'auto exclusion, l'état d'Israël semble immobilisé par son opposition avec ceux qui sont destinés a vivre a ses côtés. Mais la nature ne se laisse pas brider et la plage de Tel Aviv devient le symbole d'une issue peut-être moins lointaine que ce que l'on pourrait imaginer. Ici l'écho de l'Intifada, l'âpreté de l'affrontement, l'exaspération des intransigeances religieuses semblent ne pas arriver parce qu'aucun mur ne peut arriver jusqu'a la plage, aucun fil barbelé ne peut entraver les nuages, aucun obstacle ne peut capturer les vagues.

Michel Kirch n'oublie pas le Mur (combien de Murs l'humanité a connu sans en apprendre l'inutilité ?) mais veut élargir le regard pour voir au-delà. Ainsi il sait distinguer les vagues qui créent une séquence de cercles concentriques sur le sable et semblent poursuivre la silhouette minuscule d'un jeune garçon qui joue avec l'eau, il sait saisir un homme qui marche tranquillement sur le rivage suivi par son chien, il sait s'arrêter sur un ponton pris en contre-jour d'ou émergent les cannes des pêcheurs tandis que dans le ciel passe, compact, un vol d'oiseaux.

Pour " Au-delà du Mur ", le photographe n'a pas choisi la forme classique du reportage mais a privilégié la recherche de la dimension poétique - une caractéristique qui lui est propre - en laissant libre cours a certains aspects oniriques. Les traces entremêlées, semblables a une broderie, que les humains et les oiseaux ont laissées sur le sable, serviront-elles a guider l'homme en toute sécurité ou en confondront-elles le chemin ? L'ombre qui s'allonge sur la plage créant avec la mer et la terre un triangle occupé par une silhouette vêtue de blanc est-elle un signe d'espoir et d'harmonie ?

Il s'agit de questions qui n'ont pas de réponses différentes de celles que nous avons nous-mêmes créées, parce que de nombreux éléments restent en suspens et servent uniquement a nous faire réfléchir : comme la magnifique image d'un ciel traversé par un avion et par un corbeau qui semblent se mouvoir dans la meme direction tandis que plus bas se dresse une mouette qui ouvre ses ailes et qui semblent prête a s'élancer dans les airs. Mais elle est en bois et sa silhouette élancée reste solidement amarrée au poteau planté dans le terrain qui la soutient, même si, en fermant les yeux, on peut imaginer qu'elle a déjà pris on vol.  

 

Roberto Mutti

Critique d'Art

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