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> Virginie Larousse

MICHEL KIRCH 

Alchimiste du réel

Fils de rabbin, le photographe plasticien a développé un langage pictural très personnel, où les questionnements métaphysiques sont omniprésents. Il est l'invité d'honneur du Salon d'automne. 

 

Il faut souvent du temps pour devenir qui l'on est. Michel Kirch ne renierait sans doute pas l'expression que Nietzsche a empruntée au poète Pindare. Car de son aveu même, il a dû emprunter des sentiers très escarpés « pour aller de l'angoisse à la joie ». Pour se trouver lui-même, sans chercher à se conformer à ce que ses parents attendaient de lui. Avant de devenir le photographe plasticien multiprimé qu'il est aujourd'hui, Michel Kirch a eu d'autres vies. Fils et petit-fils de rabbins, l'artiste conserve le souvenir d'une enfance pesante « avec ses rituels obligés, à la maison et dans la synagogue, et même dans la rue où chacun de mes actes pouvait entacher la réputation de mon père... ». 

 

AVENTURE SACRÉE 

Une cage dont il s'échappe parfois, à pas feutrés, en détalant les escaliers du domicile familial, pour rejoindre une « vie secrète » avec les « voyous du quartier », sur les toits ou aux abords de la rivière qui traverse Metz, où il a grandi. 

« J'aimais beaucoup la pêche, me retrouver sur ces rivages encore sauvages, parmi les orties et les toiles d'araignées... Il y avait une magie absolue dans ces instants où je me sentais relié à tout. On mettait le bouchon de la canne à pêche dans l'eau, et le poisson se mettait à frétiller... Je sentais les odeurs, la douceur de l'eau, dans une paix, une forme de bonheur sensuel. ». C'est sur ces rives, plus qu'à la synagogue, que le garçon fait l'expérience du sacré, lequel a pour lui le goût de l'interdit. Prémices d'une vie d'aventurier qu'il mettra des années à assumer. Côté face, le jeune homme se plie en effet aux traditions familiales, et entame des études de médecine. « Dans chaque famille juive, il faut un docteur. C’est tombé sur moi !», plaisante-t-il aujourd’hui. Mais côté pile, l’étudiant poursuit sa quête et passe un an à l’École de haute-montagne de Chamonix. « J’y ai acquis, réalise-t-il, mes bases physiques et mentales. Chaque pas est une victoire sur soi-même. J’ai appris le courage et la détermination. »

Des qualités qui s’avéreront fort utiles quand il envisagera de faire de la photographie plastique son métier. La découverte de ce médium est, somme toute, le fruit du hasard. Après ses études, le chirurgien dentaire décide de partir à l’aventure pendant au moins un an. Il achète une Jeep et un appareil photo, non par amour de l’art mais pour mémoriser les paysages du Sahara. De retour en France, il est surpris de la qualité de ses clichés, qu’il croyait ratés. Et décide de refaire quatre voyages dans les dunes du Sahara, à quatre saisons différentes. Lorsqu’il présente ses prises de vue au directeur de l’Espace Canon, il est aussitôt reçu pour un solo show. «À ce moment-là, j’ai su que j’avais un langage visuel », se souvient Michel Kirch.

 

RÉALISME MAGIQUE

Au fil des années, l’artiste va peaufiner son style et développer une patte très personnelle, délaissant la photo en couleurs au profit de la monochromie. « Le noir et blanc, explique-t-il, m’oblige à aller tout de suite à l’essentiel. Il n’y a rien pour flatter mon intention. J’aime aussi la sensualité de cette monochromie complexe. » Dans ses œuvres, les noirs les plus profonds explosent sous la lumière éclatante des blancs, comme un écho au geste créateur de Dieu

lorsqu’il sépara les ténèbres et la lumière. Michel Kirch est aussi, à sa manière, un démiurge, ses œuvres n’étant jamais narratives.  Car le photographe est en outre plasticien : à partir des visuels qu’il récolte au fil de ses voyages, il crée des assemblages d’éléments, effectue des collages

– assisté de l’informatique – jusqu’à donner naissance à de vastes fresques qui questionnent la condition humaine et l’énigme de l’univers.

Si ses œuvres « contiennent tous les ingrédients d’un réel incontestable, observe-t-il, elles sont des fictions », certains critiques qualifient d’ailleurs son travail de « réalisme magique ».

« Je ne suis pas un témoin de ce que je vois, je suis un témoin de ce que je suis », poursuit celui qui a été nommé, en 2016, « Monochrome Photographer of the Year ».

Un témoin, également, des enjeux de notre temps. Les dangers d’une apocalypse écologique apparaissent comme un thème majeur de sa réflexion, et ont notamment donné lieu à la série

« Homo Fukushima ». L’homme y apparaît microscopique, noyé dans un environnement grandiose et souvent hostile. Mais il n’est pas pour autant réduit à néant. «À mes yeux, l’homme est une sorte de miroir de l’univers. Il est à la fois tout puissant, mais par sa taille, sa vulnérabilité, sa folie, il est très fragile. »

Les tableaux du plasticien sont à l’image de cette ambivalence : si une angoisse sourde en émane – architectures en ruine, êtres vivants menacés –, l’espoir, toujours, demeure. Il est souvent symbolisé par un oiseau, métaphore de la légèreté, de la possibilité d’une fuite. Écho lointain, aussi, des échappées belles de l’artiste alors qu’il était enfant. 

« Chacune de mes œuvres n’est jamais totalement angoissée ni joyeuse. Ces deux forces se complètent toujours, comme un reflet de l’harmonie du monde », commente l’invité d’honneur

du prochain Salon d’automne à Paris.

Une harmonie que Michel Kirch semble avoir trouvée, après l’avoir beaucoup cherchée – après s’être beaucoup cherché –, expérimentant tout ce qui pouvait lui per- mettre d’accoucher de lui-même, du yoga à la bioénergie, de la kabbale au tantrisme. En 2010, il a définitivement cessé sa pratique médicale, qui était devenue de plus en plus anecdotique au fil des ans. « Je ne voulais pas être un peintre du dimanche. J’ai voulu conquérir cette identité artistique à 100 %, malgré tous les risques que cela représentait. » La mue s’est alors achevée. Depuis, le photographe plasticien se consacre corps et âme à son art « transfigurant le réel », comme l’observe le philosophe Edgar Morin, qui qualifie Michel Kirch d’« éveilleur ».

Éveilleur d’un monde onirique et poreux, où l’on se sait jamais bien si la réalité est fiction, ou si la fiction est réalité. 

 

Virginie  Larousse

Rédactrice en chef chez Le Monde des religions

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